miércoles, 23 de octubre de 2019

PRÓLOGO A LA EDICIÓN FRANCESA DE LOS DIARIOS DE IÑAKI URIARTE

Le roman d’Iñaki Uriarte
Je confesse que je ne lis pas les écrivains espagnols du moment. Ce n’est pas en raison d’un préjugé défavorable, mais d’un manque de curiosité. En revanche, je reviens parfois vers Baroja, Unamuno, et souvent vers le philosophe Ortega y Gasset auquel j’ai consacré jadis une étude universitaire. Je m’efforce de les lire dans le texte. Le plaisir en est accru.
Je ne me rappelle plus comment j’ai découvert les Diarios d’Iñaki Uriarte. Un dieu bienveillant a dû orienter mon flair. Je l’en remercie encore.
En lisant ce solitaire de Bilbao, j’eus le sentiment de découvrir un nouveau membre du club transhistorique des stylistes du détachement. D’ailleurs, une fois lus, après en avoir corné moult pages, les trois tomes de son Journal ont rejoint dans ma bibliothèque le rayon où Cioran voisine avec la marquise du Deffand, Chamfort avec Roland Jaccard, La Rochefoucauld avec Joubert, Nicolás Gómez Dávila avec Albert Caraco, Saint-Évremond avec Swift, Vauvenargues avec Lichtenberg, Baltasar Gracián avec Pascal, Madame de Sablé avec La Bruyère. Sur cette étagère, je ne prends pas la peine de classer les auteurs par ordre alphabétique ou chronologique. Je les en retire trop souvent pour que je me soucie d’un ordre. Je doute qu’ils en aient à se plaindre. Je les imagine, au contraire, satisfaits de coexister dans cette pagaille. Montaigne est certainement ravi d’y accueillir ce Basque « imprémédité et fortuit », son fidèle lecteur.
Je ne voudrais pas présenter Iñaki Uriarte sous le seul jour du moraliste. Certes il en est un par le regard aigu qu’il pose sur les gens, ses proches, ses amis, ses contemporains, par les mots justes et savoureux qu’il trouve pour en rapporter les propos et en décrire les faits et gestes. Le talent d’Uriarte est de transformer le récit d’une anecdote en une observation anthropologique. Sous sa plume, le minuscule devient universel tout en conservant son aspect risible : « “Et c’est payé avec mes impôts !“, répète souvent Machin. Les gens n’imaginent pas tout ce qui se paie avec les impôts de Machin. Il faudrait lui ériger une statue ou donner son nom à un square. » Uriarte est aussi philosophe quand il se croque soi-même : « Je me suis installé au bar de la plage pour boire un Coca et lire le journal. Je bâille. Bon signe. J’ai toujours pensé que le bâillement était le symptôme d’une sérénité spirituelle […] ».
Uriarte n’est donc pas un moraliste déguisé en diariste, mais un diariste qui respecte le genre littéraire du Journal, au demeurant souple, lequel doit mêler l’intime à la réflexion générale. « Veillons à ne pas tomber dans le Journal !, écrivait Unamuno. L’homme qui en vient
à tenir son journal — comme Amiel — devient l’homme de son Journal, ne vit que pour lui. Il ne se contente plus d’y consigner ce qu’il pense chaque jour, il pense dans le but d’y consigner quelque chose. » N’en déplaise à Unamuno, Uriarte est un diariste non pas en ce qu’il tient son journal mais en ce que son journal le tient. Quand il lui arrive de ne rien écrire pendant une longue période, il en éprouve une sorte de culpabilité. Il lui semble qu’il fait attendre un ami et songe qu’il ne faut pas abuser de sa patience.
Pour me livrer moi-même à l’écriture égotiste, je puis confirmer le lieu commun selon quoi un Journal sert à son auteur de confident. On lui fait part de ses déceptions, de ses rages, de ses moqueries. Barbey d’Aurevilly, appelait ses carnets « mes crachoirs ». Ce qui m’a frappé en lisant les Diarios d’Uriarte, c’est le ton flegmatique avec lequel il exprime ses agacements. « Écrire de mauvaise humeur, corriger de bonne humeur, note-t-il. Je ne devrais garder que ce que je tolère les jours de bonne humeur, et éliminer ou élaguer les gémissements des mauvais jours qui, pour plus de la moitié, sont à l’origine de mes séances d’écriture. Les journaux intimes ont une incorrigible tendance à la mélancolie qu’il faudrait tenter de dissimuler. » Un bon précepte que je ne respecte pas. L’autodérision est la courtoisie du neurasthénique.
Pendant longtemps Uriarte a été critique littéraire. À le lire, il n’éprouva jamais la tentation du roman. On pourrait penser qu’hormis son propre moi nul autre personnage ne l’inspire. Sans doute est-ce le cas. Mais pourquoi serait-ce un signe de mégalomanie ? Bien des romanciers n’ont-ils pas gonflé leur ego à travers leurs héros ? J’y vois au contraire une preuve d’humilité. En privilégiant le Journal, Uriarte écrit sans prétention, mais avec le souci de l’exactitude du trait, le roman d’un témoin de son époque, de son monde, de son entourage. Le lecteur entend sa voix, partage son amitié pour le chat Borges, devine ses ricanements étouffés quand il conte une absurdité, s’amuse avec lui des ridicules des milieux littéraires, jubile de la justesse de ses considérations sur les grands auteurs, aime le suivre sur la plage de Benidorm, comprend sa colère quand il sort de chez son coiffeur incompétent. Il y a aussi, parfois, du Woody Allen en Uriarte. D’ailleurs, il est né à New York.
L’Espagne, se réjouissait de compter Uriarte dans le petit nombre de ses écrivains profonds et légers, lucides et élégants. À présent, la France, grâce à l’excellente traduction des Diarios due à Carlos Pardo, vient de le naturaliser.
Frédéric Schiffter

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